L'URT : L'Ambition Circulaire du Nucléaire Français
Le secteur nucléaire français s'engage dans une démarche d'économie circulaire ambitieuse à travers la valorisation de l'uranium de retraitement (URT). Cette stratégie à long terme vise un nucléaire plus durable et souverain. Ce rapport explore cette ambition, ses avancées, défis et perspectives.
Qu'est-ce que l'URT et son cycle de valorisation
L'origine de l'uranium de retraitement
- L'URT provient du retraitement des combustibles usés à l'usine Orano de La Hague.
- Il représente environ 95% de la masse du combustible usé et contient environ 0,9% d'uranium 235 (contre 0,71% dans l'uranium naturel) [1, 2].
- La France détenait environ 34 100 tonnes d'URT fin 2020 [1].
- L'URT est une matière valorisable à fort potentiel énergétique (100 g d'URT ≈ 1 tonne de pétrole) [2].
- Principalement stocké sur le site du Tricastin [3].
Le processus de recyclage et de valorisation
- Traitement à La Hague : Séparation du plutonium (1%), de l'uranium (95%) et des déchets ultimes (4%) [2, 3].
- Conversion et Enrichissement : L'URT est converti puis enrichi pour devenir de l'URE (Uranium de Recyclage Enrichi) [4].
- Réutilisation : L'URE peut alimenter certains réacteurs.
- Étape Historique (Février 2024) : Redémarrage du réacteur 2 de la centrale de Cruas avec une première recharge d'uranium totalement recyclée [4].
L'URT et l'économie circulaire : une approche pionnière
Le nucléaire, précurseur de l'économie circulaire
- Le secteur nucléaire a adopté des principes d'économie circulaire avant sa généralisation [5].
- Principes clés mis en œuvre :
- Réduction des déchets à la source
- Réutilisation et transformation des matières
- Recyclage des matériaux
- Conditionnement optimal des déchets ultimes [5]
Une stratégie nationale affirmée
- La France recycle les matières nucléaires depuis plus de 50 ans [2].
- Le Contrat Stratégique de la Filière Nucléaire Française 2019-2022 inclut un projet pour promouvoir l'économie circulaire [6].
- La SFEN souligne l'importance de l'économie circulaire face à la perception des déchets radioactifs [7].
- Le PNGMDR (Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs) doit faciliter cette stratégie [7].
Bénéfices et performances du recyclage de l'URT
Avantages environnementaux et économiques
- Économie de ressources naturelles : Le recyclage de l'URT pourrait doubler l'économie de consommation d'uranium naturel (de 10% à 25%) [7, 4].
- Réduction des émissions de CO2 : La filière URT émet 30% de moins de CO2 que la filière d'uranium naturel [4].
- Valorisation d'un stock existant : Contribue à l'indépendance énergétique à moyen terme [3].
- Réduction du volume des déchets finaux : Diminue la quantité de déchets à stocker à long terme [2].
État actuel du déploiement
- Seuls les quatre réacteurs de la centrale de Cruas-Meysse utilisent actuellement l'URE [4, 8].
- Historique du recyclage de l'URT à Cruas :
- Première expérience : 1994 à 2013 [4]
- Suspension : 2013 (raisons industrielles, économiques et environnementales) [9]
- Relance par EDF : 2018 [1, 9]
- Redémarrage avec URE total : Février 2024 (réacteur 2 de Cruas) [4, 8]
- Potentiel : Les combustibles recyclés pourraient produire 25% de l'électricité nucléaire en France (Orano) [3].
Défis et enjeux actuels
Dépendance à la Russie : un défi géopolitique majeur
- La seule usine mondiale de conversion de l'URT est à Seversk en Russie (Tenex/Rosatom) [10, 8].
- Contrat EDF-Tenex (2018-2032) pour le traitement de l'URT (600 millions d'euros) [8].
- Contrat Orano-Rosatom (soldé) pour 1 150 tonnes d'URT [10, 2].
- Cette dépendance pose un problème géopolitique (guerre en Ukraine) [10, 11].
- Indignation de Greenpeace concernant la poursuite de ces contrats [10].
Défis techniques et économiques
- Investissements nécessaires : Construction d'une usine française (environ 10 ans) [10].
- Rentabilité économique : Débat sur la rentabilité du retraitement [3], mais la hausse du prix de l'uranium pourrait changer la donne [10].
- Certification des réacteurs : Limitation actuelle de l'utilisation de l'URE à certains réacteurs [4, 8].
Perspectives et projets d'avenir
Construction d'une usine française de conversion
- La France envisage sérieusement de construire sa propre usine de conversion d'URT pour réduire la dépendance à la Russie [10].
- Discussions en cours avec Orano et Westinghouse [10].
- Site potentiel : Tricastin (Drôme) [10].
- Coût et délai importants [10].
- Discussion prévue lors du prochain conseil de politique nucléaire (octobre 2024) [10].
Ambitions de développement à moyen terme
- Utilisation de l'URT dans certains réacteurs de 1 300 MW (Cattenom et Paluel) dès 2027 [4, 8].
- Objectif : Plus de 30% d'URT chargé dans le parc nucléaire français dans les années 2030 [4, 8].
- Prolongation de la durée de vie des usines de recyclage de La Hague et Marcoule "au-delà de 2040" (Bruno Le Maire) [3].
Vision à long terme : vers un cycle fermé
- Objectif : Recyclage complet des combustibles usés sans nouvel apport d'uranium naturel [6].
- Deux pistes explorées :
- Multi-recyclage en REP (Réacteurs à Eau Pressurisée) [6].
- Réacteurs à neutrons rapides (RNR) de Génération IV (potentiel d'autonomie énergétique pour des milliers d'années avec les stocks actuels) [7].
- Déploiement des RNR envisagé après la deuxième moitié du XXIe siècle (ressources en uranium naturel jugées suffisantes d'ici là) [6].
Conclusion
L'ambition circulaire du nucléaire français, portée par la valorisation de l'URT, est stratégique pour l'avenir énergétique du pays. Elle permet d'allier économie des ressources, réduction des émissions, diminution des déchets et renforcement de l'indépendance énergétique.
Le redémarrage du réacteur de Cruas en 2024 est une avancée significative. Cependant, la dépendance à la Russie pour la conversion de l'URT reste un défi majeur. La construction d'une usine française est cruciale.
À long terme, la France vise un cycle du combustible fermé, potentiellement grâce au multi-recyclage et aux RNR. Cette vision pourrait faire du nucléaire français un modèle de gestion durable des ressources énergétiques, sous réserve de surmonter les obstacles actuels.
Références :
- [1] https://www.sfen.org/rgn/decryptage-six-questions-pour-comprendre-les-flux-duranium-de-retraitement-entre-la-france-et-la-russie/
- [2] https://www.orano.group/fr/decodage/uranium-de-retraitement-urt-et-russie
- [3] https://www.novethic.fr/environnement/transition-energetique/dechets-nucleaires-la-france-continue-sur-la-voie-contestee-du-retraitement
- [4] https://www.sfen.org/rgn/cruas-relance-de-la-filiere-duranium-de-retraitement/
- [5] https://revue-progressistes.org/2015/02/28/le-nucleaire-precurseur-de-leconomie-circulaire-bertrand-barre/
- [6] https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/Entites/CNI/2018/contrat-strategique-filiere-nucleaire-signe.pdf
- [7] https://pngmdr.debatpublic.fr/images/cahiers-acteurs/Cahier_d_Acteur_n_33_SFEN.pdf
- [8] https://www.revolution-energetique.com/actus/cette-centrale-nucleaire-francaise-a-ete-alimentee-avec-de-luranium-recycle-pour-la-premiere-fois/
- [9] http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/2018-_rapport_cycle_maj.pdf
- [10] https://reporterre.net/Uranium-de-retraitement-bientot-une-usine-francaise-pour-se-passer-de-la-Russie
- [11] https://www.senat.fr/rap/r23-714-1/r23-714-156.html