La Mise sous Silence d'un Procureur : Microsoft, les Sanctions Américaines et la CPI sous Pression
Introduction : Un Acte sans Précédent et ses Échos Mondiaux
En mai 2025, un événement en apparence administratif a envoyé des ondes de choc à travers la communauté juridique et diplomatique internationale : Microsoft, le géant technologique américain, a supprimé le compte de messagerie électronique professionnel de Karim Khan, Procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI).1 Cet acte n'était pas une simple mesure technique, mais une conséquence directe et délibérée des sanctions imposées par les États-Unis à l'encontre de la CPI et de son personnel.2 L'incident a immédiatement soulevé des questions fondamentales sur la vulnérabilité des institutions internationales face aux sanctions nationales, le rôle des multinationales technologiques en tant qu'instruments de la politique étatique, et les implications profondes pour la justice internationale et la primauté du droit.
Cette suppression est intervenue dans un contexte de tensions croissantes entre la CPI et certaines puissances mondiales, notamment en raison des enquêtes de la Cour portant sur des « membres du personnel des États-Unis et de leurs alliés, y compris Israël » 3, et plus particulièrement suite à l'émission de mandats d'arrêt à l'encontre de hauts responsables israéliens pour des crimes de guerre présumés à Gaza.5 La décision de Microsoft, fournisseur de services essentiels à la CPI, de se conformer aux directives américaines illustre de manière frappante la manière dont des infrastructures numériques fondamentales peuvent être transformées en instruments de pression géopolitique. En effet, le fait qu'une entreprise comme Microsoft, qui fournit des services de messagerie essentiels à une institution judiciaire internationale telle que la CPI 1, puisse être contrainte par des sanctions nationales – en l'occurrence celles des États-Unis interdisant le « soutien technologique » aux responsables de la CPI désignés 3 – de supprimer l'accès à ces services, démontre que des outils numériques quotidiens peuvent devenir des leviers de coercition politique. Cela va au-delà des sanctions financières traditionnelles pour toucher à la capacité opérationnelle même des organisations internationales.
Plus largement, cet épisode met en lumière la neutralité précaire des institutions internationales dans un monde numériquement interdépendant. La CPI, une cour internationale, dépendait d'une entreprise basée aux États-Unis pour ses communications critiques.1 Cette dépendance la rend intrinsèquement vulnérable aux lois nationales et aux objectifs de politique étrangère du pays hôte de son fournisseur de services.8 Cela soulève des interrogations fondamentales sur la capacité des organisations internationales à maintenir leur indépendance opérationnelle et leur neutralité lorsque leur infrastructure numérique est contrôlée par des entités soumises à la juridiction d'États puissants, qu'ils soient membres ou non de ces organisations.
Le Marteau Juridique : Comprendre les Sanctions Américaines contre la Cour Pénale Internationale
Executive Order 14203 : Un Outil de Coercition
Le fondement juridique de l'action de Microsoft et des pressions exercées sur la CPI réside dans le décret présidentiel (Executive Order ou EO) 14203, intitulé « Imposition de Sanctions à la Cour Pénale Internationale », promulgué par le Président Trump le 6 février 2025.3 La justification officielle de ce décret repose sur la perception par l'administration américaine que la CPI se serait livrée à des « actions illégitimes et sans fondement ciblant l'Amérique et notre proche allié Israël ».4 Plus précisément, il est reproché à la Cour d'avoir affirmé sa compétence et ouvert des enquêtes préliminaires concernant le personnel des États-Unis et de certains de leurs alliés, y compris Israël, qui ne sont pas parties au Statut de Rome, et d'avoir émis des « mandats d'arrêt sans fondement » visant des responsables israéliens.4 Le décret qualifie les actions de la CPI de « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis ».4
La portée des sanctions édictées par l'EO 14203 est vaste et comprend :
- Le blocage des biens et intérêts financiers des personnes désignées, nommant explicitement le Procureur en chef de la CPI, Karim Khan, dans son annexe.3
- L'autorisation de désigner d'autres personnes étrangères qui auraient « matériellement assisté, parrainé ou fourni un soutien financier, matériel ou technologique, ou des biens ou services en faveur ou à l'appui » des enquêtes de la CPI sur des « personnes protégées ».3
- L'interdiction des dons aux personnes sanctionnées.3
- La suspension de l'entrée aux États-Unis pour les individus sanctionnés, les membres de leur famille immédiate, ainsi que d'autres employés ou agents de la CPI.3
Les bases légales invoquées pour ce décret sont l'International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), le National Emergencies Act (NEA) et l'Immigration and Nationality Act (INA).7 La définition des « personnes protégées » englobe les ressortissants américains ainsi que les ressortissants des pays alliés des États-Unis (par exemple, les membres de l'OTAN, les alliés majeurs non-membres de l'OTAN comme Israël) qui n'ont pas consenti à la juridiction de la CPI, incluant les employés gouvernementaux, les responsables élus et les membres des forces armées.4 Conformément à ce décret, Karim Khan a été ajouté à la liste des Ressortissants Spécialement Désignés et Personnes Bloquées (SDN list) de l'Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Département du Trésor américain le 13 février 2025.3
La conception de l'EO 14203 ne se limite pas à une simple punition ; elle vise également un effet dissuasif préventif. En désignant explicitement Karim Khan 3 et en conférant le pouvoir de sanctionner toute personne étrangère fournissant un « soutien financier, matériel ou technologique » 3, dont la définition est large et peut englober des interactions de routine ou la fourniture de services essentiels 7, le décret cherche à isoler la CPI et ses responsables. Il crée un environnement à haut risque pour toute entité ou individu envisageant une collaboration, dissuadant ainsi toute coopération future ou soutien aux enquêtes jugées problématiques par les États-Unis.
De plus, la déclaration d'une « urgence nationale » pour justifier ces sanctions apparaît comme un prétexte juridique pour une action fondamentalement politique. Les États-Unis invoquent l'IEEPA, qui nécessite une telle déclaration face à une « menace inhabituelle et extraordinaire ».4 Cette menace est définie comme étant les actions de la CPI contre le personnel américain ou ses alliés comme Israël.4 Or, l'opposition américaine à la juridiction de la CPI sur ses ressortissants et ceux de ses alliés non-parties est ancienne 4, et les récents mandats d'arrêt de la CPI visant des responsables israéliens 5 semblent avoir été le déclencheur direct. Ainsi, le cadre juridique de l'« urgence nationale » est utilisé pour légitimer des sanctions qui constituent une réponse à des décisions spécifiques du procureur de la CPI, en particulier celles concernant Israël, et qui sont désapprouvées par l'administration américaine. Cela met en lumière l'utilisation d'outils juridiques nationaux pour atteindre des objectifs de politique étrangère qui défient les instances juridiques internationales.
Le tableau suivant résume les principales dispositions et interdictions de l'Executive Order 14203 :
Tableau 1 : Dispositions Clés et Interdictions de l'Executive Order (EO) 14203 des États-Unis
Type de Disposition |
Portée/Cible |
Autorité Légale Invoquée |
Justification Déclarée |
Gel des Avoirs |
Karim Khan (nommément désigné) ; autres personnes étrangères déterminées comme ayant aidé les enquêtes de la CPI sur des "personnes protégées". |
IEEPA |
Actions de la CPI constituant une "menace inhabituelle et extraordinaire" pour la sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis. 4 |
Interdiction de Soutien |
Toute personne américaine ou étrangère fournissant un soutien financier, matériel ou technologique, ou des biens/services aux personnes bloquées. |
IEEPA |
Soutien aux activités de la CPI jugées illégitimes. 3 |
Interdiction d'Entrée aux États-Unis |
Personnes sanctionnées, leur famille immédiate, employés/agents de la CPI. |
INA, Section 301 Titre 3 |
Association avec les activités de la CPI jugées préjudiciables aux intérêts américains. 3 |
Interdiction de Dons |
Dons et contributions aux personnes sanctionnées. |
IEEPA |
Empêcher le financement des personnes impliquées dans les actions ciblées de la CPI. 3 |
Sources des données : 3
Précédents Historiques et Politique Américaine envers la CPI
L'EO 14203 s'inscrit dans une lignée d'actions américaines visant à contrer la CPI. Il fait notamment écho à l'EO 13928 de 2020, émis lors du premier mandat du Président Trump, qui ciblait également des responsables de la CPI (dont la procureure d'alors, Fatou Bensouda) pour des motifs similaires, liés aux enquêtes sur le personnel américain en Afghanistan.9 Cet EO avait été abrogé par l'administration Biden en avril 2021.9 La politique américaine constante de non-ratification du Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI, est un autre élément de contexte crucial.3
De plus, l'American Servicemembers' Protection Act (ASPA) de 2002 (22 U.S.C. 7421 et seq.) autorise le Président à utiliser « tous les moyens nécessaires et appropriés » pour libérer le personnel américain ou allié détenu ou emprisonné par la CPI, et restreint la coopération américaine avec la Cour.4 L'argument central des États-Unis est que la CPI n'a pas compétence sur les ressortissants de pays qui ne sont pas parties au Statut de Rome et qui n'ont pas consenti à sa juridiction.3
Ces sanctions représentent une escalade dans une série de mesures américaines visant à contrer ce qui est perçu comme un excès de pouvoir de la CPI, plutôt qu'une réaction isolée. L'opposition historique des États-Unis à la juridiction de la CPI sur ses ressortissants (manifestée par l'ASPA et la non-ratification du Statut de Rome 4) a été suivie par l'EO 13928 sous la première administration Trump.9 L'EO 14203 non seulement ravive cette approche mais l'intensifie en désignant directement le procureur actuel et en élargissant le champ des cibles potentielles pour la fourniture de « soutien ».3 Cela démontre une politique américaine cohérente, bien que fluctuante selon les administrations, de résistance active aux actions de la CPI jugées contraires à ses intérêts ou à ceux de ses principaux alliés, utilisant des mesures de plus en plus directes comme les sanctions personnelles contre les responsables de la Cour.
Cette posture révèle une approche ambivalente des États-Unis envers la justice internationale. Si, par moments, les États-Unis ont soutenu des enquêtes de la CPI ou des mécanismes de justice internationale similaires lorsque ceux-ci s'alignaient sur leurs objectifs de politique étrangère (des références au soutien américain pour des enquêtes en Ukraine, en Ouganda ou au Darfour sont mentionnées, bien que ces mêmes sanctions entravent désormais ce travail 10), ils s'y opposent activement et sanctionnent la Cour lorsque ses enquêtes touchent à leur personnel ou à des alliés proches comme Israël.2 Cet engagement sélectif soulève des questions sur l'attachement des États-Unis aux principes universels de la justice internationale et suggère que leur soutien est conditionné par des alignements géopolitiques plutôt que par une application constante des principes juridiques. Une telle attitude peut être perçue comme sapant la légitimité et l'universalité que la CPI s'efforce d'atteindre.
Pris entre Deux Feux : La Conformité de Microsoft et la Responsabilité des Entreprises
L'Obligation de se Conformer : La Position de Microsoft (et les Pressions Tacites)
En tant que société constituée aux États-Unis, Microsoft est légalement tenue de se conformer aux lois fédérales américaines, y compris les régimes de sanctions imposés par des décrets présidentiels en vertu de l'IEEPA.3 L'EO 14203 interdit aux entités américaines de fournir un « soutien financier, matériel ou technologique, ou des biens ou services en faveur ou à l'appui » de personnes désignées comme Karim Khan.3 La fourniture par Microsoft de services de messagerie (tels qu'Office 365 ou Outlook) à la CPI et à Karim Khan relèverait clairement de la notion de « soutien technologique » ou de « services ».1 Par conséquent, la décision de Microsoft de supprimer le compte de messagerie est présentée comme une mesure de conformité à ces obligations légales.
L'historique de Microsoft en matière de conformité aux sanctions, notamment le règlement d'avril 2023 pour des violations liées à des ventes à des entités/pays sanctionnés, pour lequel l'entreprise a payé plus de 3,3 millions de dollars 12, rend probablement l'entreprise particulièrement prudente quant au respect des réglementations actuelles. Cette expérience passée a sans doute renforcé l'impératif pour Microsoft de se conformer strictement à l'EO 14203. Face à des sanctions antérieures et aux lourdes amendes potentielles prévues par l'EO 14203 pour non-conformité (incluant des peines de prison 2), le calcul de l'entreprise penche vraisemblablement vers une aversion au risque, éclipsant potentiellement des considérations éthiques plus larges ou l'impact réputationnel lié à une institution de justice internationale. Il est à noter que Microsoft n'a pas publié de déclaration officielle spécifique concernant la suppression du compte de messagerie de Karim Khan, selon les informations relayées par les médias.1
L'interprétation large de ce qui constitue un lien avec les États-Unis aux fins de l'application des sanctions contraint même les filiales étrangères de sociétés américaines à se conformer, étendant de facto la portée du droit américain. L'EO 14203 s'applique à « toute personne des États-Unis » et interdit les transactions par celles-ci.4 Les violations antérieures de Microsoft impliquaient des filiales en Irlande et en Allemagne.12 Les sanctions américaines s'étendent souvent aux entités étrangères détenues ou contrôlées par des personnes américaines, ou aux transactions qui transitent par le système financier américain ou impliquent des biens/technologies américains.14 Les services de messagerie de la CPI étaient hébergés par Microsoft, une société américaine.13 Cela démontre que la définition de « personne des États-Unis » et l'interprétation du « soutien matériel » sont suffisamment larges pour englober les services fournis par les entreprises technologiques américaines mondiales, les transformant de fait en agents d'exécution de la politique étrangère américaine, indépendamment du lieu où le service est consommé ou du statut international du client.
L'Interdiction du « Soutien Technologique » : Un Filet Large et Ambigu
La fourniture de services de messagerie, d'hébergement en nuage (cloud), de licences logicielles et d'autres infrastructures numériques entre clairement dans le champ du « soutien matériel ou technologique » ou des « biens ou services » interdits par l'EO 14203.3 L'ambiguïté et la portée de tels termes peuvent créer un effet dissuasif, conduisant les entreprises à une sur-conformité pour éviter tout risque de violation.7 Le décret interdit la fourniture de « biens ou services en faveur ou à l'appui de... toute personne bloquée en vertu de cet ordre ».3 Karim Khan étant bloqué, tout service qui lui est fourni par une entité américaine est interdit.
La largeur délibérée et l'imprécision potentielle de termes tels que « soutien technologique » dans le langage des sanctions servent d'outil puissant. Face à des termes généraux comme « avoir matériellement assisté, parrainé ou fourni un soutien financier, matériel ou technologique, ou des biens ou services en faveur ou à l'appui de » 3 et aux sanctions sévères en cas de violation (amendes, peines de prison 2), les conseillers juridiques d'entreprises comme Microsoft sont susceptibles de préconiser une interprétation large de ce qui constitue un soutien interdit afin d'éviter toute violation potentielle. Cela signifie que même des services qui pourraient sembler indirectement liés ou essentiels au fonctionnement de base (comme la messagerie électronique) sont coupés. L'ambiguïté elle-même devient un mécanisme d'application, poussant les entreprises vers une sur-conformité et étendant l'effet paralysant des sanctions bien au-delà des cibles directes.
Les Retombées : Conséquences Paralysantes pour la CPI et la Justice Internationale
Paralysie Opérationnelle : Au-delà d'un Compte de Messagerie
Les répercussions des sanctions américaines sur la Cour pénale internationale et son Procureur, Karim Khan, vont bien au-delà de la simple suppression d'un compte de messagerie. Elles ont engendré une série de perturbations opérationnelles qui entravent gravement le fonctionnement de l'institution.
- Perte de la messagerie professionnelle : Karim Khan a été contraint de migrer vers ProtonMail, un fournisseur de messagerie sécurisée basé en Suisse, pour ses communications officielles.1 Ce changement soudain a non seulement perturbé les canaux de communication établis, mais a également pu poser des défis en termes de migration de données et de continuité des échanges.
- Gel des avoirs financiers : Les comptes bancaires personnels de Karim Khan au Royaume-Uni ont été gelés, les banques craignant de violer les sanctions américaines secondaires.1 Cette mesure affecte directement sa capacité à gérer ses finances personnelles et potentiellement ses dépenses professionnelles.
- Impact sur le personnel de la CPI :
- Les membres du personnel américain de la CPI ont été avertis qu'ils risquaient d'être arrêtés s'ils se rendaient aux États-Unis.1 Cela crée un climat de peur et met en péril leur sécurité personnelle et leur liberté de mouvement.
- Six hauts fonctionnaires auraient quitté la CPI en raison des préoccupations liées aux sanctions.1 Ces départs représentent une perte significative de connaissances institutionnelles et d'expertise pour la Cour.
- L'EO de février interdit à Karim Khan et aux autres membres non américains du personnel de la CPI d'entrer aux États-Unis.1
- Perturbation des enquêtes en cours :
- Les sanctions entravent le travail sur un large éventail d'enquêtes, et pas seulement celles concernant les dirigeants israéliens.1
- L'arrêt de l'enquête sur le Darfour (Soudan) est spécifiquement mentionné, et ce, alors même que de nouvelles atrocités y sont signalées.1 Un procureur de la CPI, Eric Iverson, impliqué dans cette enquête, conteste les sanctions devant les tribunaux américains, affirmant qu'il ne peut « exercer... les fonctions de base d'un avocat ».1
- L'effet cumulé de ces mesures a conduit le personnel de la CPI à s'interroger ouvertement sur la survie de l'organisation face à une telle pression.1
Les sanctions contre Karim Khan ont un effet en cascade, paralysant des fonctions plus larges de la CPI bien au-delà de sa capacité personnelle à opérer. Bien que Khan soit personnellement sanctionné (gel d'avoirs, interdiction de voyager, suppression de messagerie 1), le fait qu'il soit le Procureur en chef signifie que tout « soutien » qui lui est apporté est interdit.3 Cela conduit des ONG et des sous-traitants à retirer leur soutien à la CPI en tant qu'institution pour éviter d'être perçus comme soutenant Khan.1 D'autres membres du personnel de la CPI, y compris des citoyens américains, sont confrontés à des menaces directes (arrestation) ou choisissent de démissionner.1 Des enquêtes sans lien avec les États-Unis ou Israël, comme celle sur le Soudan, sont interrompues parce que la capacité opérationnelle globale et les réseaux de coopération externes sont paralysés.1 Ainsi, cibler le chef de l'organisation paralyse de fait l'ensemble de l'institution, démontrant l'impact systémique profond de telles sanctions sur les institutions internationales.
La dépendance de la CPI à l'égard d'un réseau de personnel international, de contractants externes et d'ONG devient une vulnérabilité lorsque des nœuds clés (comme le Procureur en chef ou le personnel/entités américaines) sont ciblés par des sanctions. La CPI s'appuie fortement sur des contractants et des ONG pour la collecte de preuves, le soutien aux témoins et d'autres fonctions.1 Beaucoup d'entre eux peuvent être basés aux États-Unis ou avoir des liens avec les États-Unis (personnel, financement, services bancaires). L'EO 14203 menace toute personne fournissant un « soutien matériel » à Khan ou aux activités connexes de la CPI.3 Cela force ces entités de soutien à choisir entre poursuivre leur travail avec la CPI (et risquer des sanctions américaines) ou cesser leur coopération.1 La nature interconnectée du travail international moderne, qui est habituellement une force, se transforme en faiblesse. Les sanctions peuvent créer un effet domino, où la pression sur une partie du réseau entraîne l'effondrement ou le retrait d'autres.
Le tableau suivant synthétise les impacts rapportés des sanctions sur les opérations et le personnel de la CPI :
Tableau 2 : Impacts Rapportés des Sanctions Américaines sur les Opérations et le Personnel de la CPI
Domaine d'Impact |
Conséquence Spécifique |
Preuves (Exemples de Sources) |
Communications |
Suppression du compte email professionnel du Procureur Khan ; migration vers ProtonMail. |
User Query Summary, 1 |
Finances |
Gel des comptes bancaires personnels britanniques du Procureur Khan. |
User Query Summary, 1 |
Personnel |
Risque d'arrestation pour le personnel américain de la CPI aux États-Unis ; démission de hauts fonctionnaires ; interdiction d'entrée aux États-Unis pour le personnel non-américain. |
User Query Summary, 1 |
Enquêtes |
Entrave générale au travail d'enquête ; arrêt de l'enquête sur le Darfour (Soudan). |
1 |
Coopération Externe |
Retrait ou réduction de la coopération des ONG et des contractants par crainte des sanctions. |
1 |
Moral et Viabilité |
Inquiétudes du personnel quant à la survie de l'organisation. |
1 |
Sources des données : User Query Summary, 1
Effet Dissuasif sur la Coopération
Les sanctions américaines ont engendré un effet dissuasif marqué sur la coopération avec la CPI. Des organisations non gouvernementales (ONG) et des contractants ont réduit, voire cessé, leur collaboration avec la Cour par crainte d'être ciblés par les mesures américaines.1 Des exemples concrets illustrent cette tendance : des ONG ont transféré des fonds hors des comptes bancaires américains et le personnel d'organisations de défense des droits de l'homme basées aux États-Unis a cessé de communiquer avec les responsables de la CPI.1 Cette situation affecte directement la capacité de la CPI à recueillir des preuves, à trouver des témoins et à recevoir une expertise juridique ou des mémoires d'amicus curiae.1 Liz Evenson, de Human Rights Watch, a déclaré que les sanctions « empêchent les victimes d'accéder à la justice ».2 La menace de « violations délibérées » passibles de peines allant jusqu'à 20 ans de prison et/ou de lourdes amendes constitue un puissant moyen de dissuasion.7
La crainte des « sanctions secondaires » ou d'être désigné pour avoir fourni un « soutien » est aussi puissante que la désignation directe elle-même, étendant de fait la portée des sanctions aux entités et individus non américains qui pourraient interagir avec la CPI. L'EO 14203 permet la désignation de toute personne étrangère fournissant diverses formes de soutien.3 C'est l'essence même des sanctions secondaires – cibler des tiers qui traitent avec une entité principalement sanctionnée. Les ONG, les avocats internationaux et même les banques (comme celles qui ont gelé les comptes britanniques de Khan) modifient leur comportement non pas parce qu'ils sont directement nommés, mais parce qu'ils craignent de devenir nommés ou d'être autrement pénalisés pour avoir interagi avec Khan ou les activités sanctionnées de la CPI.1 Cet « effet dissuasif » est une caractéristique délibérée de la conception moderne des sanctions américaines, créant un vaste filet de dissuasion qui isole la cible principale en rendant les interactions avec elle trop risquées pour les autres.
Par conséquent, les sanctions réduisent activement l'espace permettant aux organisations de la société civile de participer et de soutenir les mécanismes de justice internationale, en particulier celles basées aux États-Unis ou ayant des liens étroits avec ce pays. Les ONG jouent un rôle vital dans la documentation des abus, la fourniture de preuves, la représentation des victimes et l'offre d'analyses juridiques à des cours comme la CPI.2 Les ONG basées aux États-Unis ou celles qui reçoivent des fonds américains sont particulièrement vulnérables aux sanctions américaines.2 La crainte des sanctions les force à se désengager.1 Ce retrait du soutien crucial de la société civile affaiblit les capacités d'enquête et de poursuite de la CPI et réduit potentiellement au silence les voix vitales des victimes, sapant directement la recherche de responsabilités. Il s'agit d'un coup dur pour l'écosystème de la justice internationale.
Ondes de Choc Géopolitiques : Souveraineté, Droit et Domaine Numérique
Le Long Bras du Droit Américain : L'Extraterritorialité en Action
L'incident de la suppression du compte de messagerie du Procureur Khan par Microsoft illustre de manière frappante l'application extraterritoriale du droit interne américain. Une entreprise américaine (Microsoft) a été contrainte de prendre des mesures à l'encontre d'une organisation internationale et de son procureur en chef (qui n'est pas citoyen américain et opère en dehors des États-Unis) sur la base des objectifs de politique étrangère des États-Unis.8 Cette situation met en lumière l'interprétation large de la juridiction américaine lorsque des infrastructures financières ou informatiques américaines sont impliquées.14 Le CLOUD Act, par exemple, est une autre loi américaine à portée extraterritoriale concernant l'accès aux données.14 Les sanctions ont un impact direct sur des personnes et entités non américaines, incluant Karim Khan, le personnel de la CPI, des ONG non américaines et des banques britanniques qui ont gelé des comptes.1
La dépendance des acteurs mondiaux vis-à-vis des infrastructures numériques basées aux États-Unis (comme les services en nuage de Microsoft) fournit un lien puissant et omniprésent permettant aux États-Unis d'affirmer leur compétence extraterritoriale et d'appliquer leurs lois et politiques nationales à l'échelle mondiale. Le droit américain, tel que l'EO 14203, s'applique aux « personnes des États-Unis », y compris les sociétés comme Microsoft.4 Microsoft fournit des services à l'échelle mondiale, ce qui signifie que ses mesures de conformité affectent les utilisateurs du monde entier, y compris des organisations internationales comme la CPI.1 Comme indiqué dans certaines analyses juridiques 14, l'extraterritorialité américaine s'étend lorsque des infrastructures financières ou informatiques américaines sont utilisées. Par conséquent, en hébergeant des services critiques pour des organismes internationaux, les entreprises technologiques américaines deviennent de facto des canaux de projection de la puissance juridique et politique américaine, indépendamment du statut international ou de la localisation de l'utilisateur final. Cette dépendance numérique se transforme ainsi en un conduit de contrôle extraterritorial.
De plus, le ciblage direct d'un procureur international avec des sanctions traditionnellement réservées aux États voyous, aux terroristes ou aux proliférateurs d'armes de destruction massive, ainsi que l'obligation faite à une entreprise privée de cesser ses services, contournent et érodent potentiellement les immunités et protections coutumières accordées aux organisations internationales et à leurs fonctionnaires. Les organisations internationales et leurs fonctionnaires jouissent généralement de certains privilèges et immunités pour assurer leur fonctionnement indépendant. Les sanctions américaines, en particulier les désignations SDN, sont des mesures sévères.3 Les appliquer au Procureur en chef de la CPI 3 pour des actions entreprises dans le cadre de ses fonctions officielles revient à le traiter comme une menace à la sécurité nationale. Microsoft, une entité privée, est alors contrainte d'agir contre lui.1 Cette approche remet en question les normes établies des relations internationales où les différends avec les organisations internationales sont généralement traités par des voies diplomatiques ou dans le cadre de ces organisations, plutôt que par des mesures coercitives économiques et technologiques unilatérales ciblant leur capacité opérationnelle et leur personnel clé.
Dépendance Numérique et Question de Souveraineté
Cet épisode expose une vulnérabilité critique : la profonde dépendance des organisations internationales vis-à-vis des fournisseurs de technologie basés aux États-Unis pour des services essentiels.8 Cette dépendance peut soumettre ces organisations aux pressions politiques et juridiques du pays où leurs fournisseurs technologiques ont leur siège.8 L'incident alimente les appels à la « souveraineté numérique » – la capacité des nations et des organisations à contrôler leur propre destin numérique, y compris les données, le matériel et les logiciels.8 Il est rapporté que la CPI recherche des alternatives européennes aux services perdus 8, face aux craintes que les services en nuage américains puissent devenir une « arme géopolitique ».15
L'affaire Microsoft-CPI agit comme un catalyseur, transformant le concept de souveraineté numérique d'une préoccupation théorique en un impératif géopolitique et opérationnel urgent pour les organisations internationales et les nations cherchant à éviter une influence indue des États hébergeant les technologies. La CPI, une cour internationale majeure, a été touchée opérationnellement en raison de sa dépendance à l'égard d'un fournisseur technologique américain soumis aux sanctions américaines.1 Cela fournit un exemple concret et très médiatisé des vulnérabilités inhérentes à une telle dépendance.8 Des commentateurs et des organisations appellent explicitement à des alternatives et à un plus grand contrôle sur l'infrastructure numérique.8 Cet incident va probablement accélérer les efforts des organismes internationaux et des gouvernements non américains pour diversifier leurs dépendances technologiques, investir dans des solutions de cloud locales ou « souveraines », et promouvoir des alternatives open-source pour atténuer le risque de perturbations de services motivées politiquement.
En outre, les services numériques fournis par les multinationales technologiques deviennent de plus en plus une infrastructure critique de facto pour la gouvernance mondiale, mais leur contrôle reste largement dans des juridictions nationales, créant une tension fondamentale. Les messageries électroniques, le stockage en nuage et les plateformes de communication sont essentiels aux opérations quotidiennes de toute organisation moderne, y compris les tribunaux internationaux. Lorsque ces services sont perturbés, les fonctions essentielles de l'organisation sont compromises.1 Ces services sont largement fournis par quelques entreprises technologiques dominantes, principalement basées aux États-Unis 15, et ces entreprises sont soumises aux lois de leur pays d'origine.8 Cela crée une inadéquation : l'infrastructure est mondiale et critique dans sa fonction, mais sa gouvernance est nationale. L'affaire CPI-Microsoft met en évidence les conséquences lorsque les intérêts nationaux (sanctions américaines) l'emportent sur les besoins opérationnels de la gouvernance internationale qui repose sur cette infrastructure critique « privée ».
Saper l'Ordre Juridique International?
De nombreux observateurs soutiennent que de telles actions sapent l'indépendance et le fonctionnement de la CPI, une cour établie pour poursuivre les crimes internationaux les plus graves.2 La Présidente de la CPI, la juge Tomoko Akane, a déclaré en février (avant la suppression de l'email mais en réponse aux sanctions) que les sanctions « constituent de graves attaques contre les États Parties à la Cour, l'ordre international fondé sur la primauté du droit et des millions de victimes ».2 Les réactions des organismes internationaux (par exemple, les experts de l'ONU condamnant la mesure comme une « attaque contre l'état de droit mondial » 10), des États et des organisations de défense des droits de l'homme (par exemple, HRW, Amnesty International 2) ont été vives. Ces actions risquent d'être perçues comme politisant la justice et protégeant des États puissants ou leurs alliés de toute responsabilité.11
Les actions américaines, en cherchant à exempter leur propre personnel et celui de leurs alliés de la juridiction de la CPI par des mesures coercitives, renforcent les perceptions d'un exceptionnalisme américain qui remet fondamentalement en cause le principe de responsabilité universelle pour les crimes internationaux, pierre angulaire du mandat de la CPI. La CPI a été créée pour garantir que les auteurs des crimes les plus graves soient tenus responsables, indépendamment de leur position officielle ou de leur nationalité.6 L'EO 14203 des États-Unis vise explicitement à protéger le personnel américain et allié (y compris israélien) des poursuites de la CPI.3 Les États-Unis ne sont pas partie au Statut de Rome et ne reconnaissent pas la compétence de la CPI sur leurs ressortissants ou ceux de non-parties non consentantes.4 En utilisant des sanctions pour imposer cette position, les États-Unis affirment de fait un droit d'être exemptés, et de protéger leurs alliés, d'un mécanisme juridique international conçu pour s'appliquer universellement. Cette action peut être interprétée comme une tentative de créer un système de justice internationale à deux vitesses : un pour ceux qui sont alignés sur les intérêts américains et un autre pour le reste, sapant ainsi l'aspiration de la CPI à une portée universelle et à une application égale de la loi.
De plus, les attaques unilatérales contre des institutions internationales comme la CPI par une grande puissance peuvent encourager d'autres États à ignorer ou à saper les normes juridiques internationales et les organismes internationaux lorsqu'ils entrent en conflit avec les intérêts nationaux, conduisant à une érosion plus large de l'ordre international fondé sur des règles. Les États-Unis sont une puissance mondiale importante, et leurs actions ont un poids considérable et créent des précédents.18 Lorsque les États-Unis sanctionnent ouvertement et cherchent à paralyser un tribunal international dont ils désapprouvent le mandat, cela signale que de telles institutions peuvent être défiées par la puissance nationale.2 D'autres États, observant cela, pourraient se sentir moins contraints par le droit international ou l'autorité des tribunaux internationaux s'ils les perçoivent comme vulnérables aux pressions politiques des nations puissantes. Cela pourrait entraîner un « effet de contagion », où davantage d'États privilégient les actions unilatérales par rapport à la coopération multilatérale et à l'adhésion aux cadres juridiques internationaux, en particulier si ces cadres remettent en question leur souveraineté ou leurs politiques. Cela affaiblit le système global de gouvernance internationale et de responsabilité.
La Toile de Fond : Enquêtes de la CPI et Pressions Croissantes
L'Enquête sur Gaza et les Mandats d'Arrêt contre des Responsables Israéliens
Le contexte immédiat de l'escalade des tensions est l'enquête en cours de la CPI sur la situation en Palestine, incluant les crimes de guerre présumés commis à Gaza.5 Un tournant majeur a été l'émission par la CPI, le 21 novembre 2024, de mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et de l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant.4 Les accusations spécifiques comprennent des crimes de guerre (famine comme méthode de guerre, direction intentionnelle d'attaques contre des civils) et des crimes contre l'humanité (meurtre, persécution).5 Il s'agit du premier mandat d'arrêt de la CPI visant le dirigeant d'un pays démocratique soutenu par l'Occident.6 Le décret présidentiel américain mentionne explicitement les « mandats d'arrêt sans fondement de la CPI visant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant » comme justification des sanctions.4 Les réactions internationales à ces mandats ont été très partagées, allant du soutien et des appels à la conformité à la condamnation.5
La décision de la CPI d'émettre des mandats d'arrêt contre de hauts responsables d'un allié proche des États-Unis (Israël) semble avoir été la « ligne rouge » qui a déclenché les sévères sanctions américaines. Bien que la CPI ait mené des enquêtes en cours et que les États-Unis aient eu une politique de non-coopération de longue date 4, l'EO 14203 a été publié en février 2025 3, peu après que la CPI a émis des mandats d'arrêt contre Netanyahu et Gallant en novembre 2024.5 L'EO lui-même cite explicitement ces mandats comme une raison des sanctions.4 Ce calendrier suggère fortement un lien de causalité direct : bien que les États-Unis se soient toujours méfiés de la CPI, la décision contre des responsables israéliens de haut niveau a été la cause immédiate du déploiement de sanctions aussi agressives, indiquant un seuil au-delà duquel les États-Unis chercheraient activement à neutraliser la Cour.
De plus, les mandats de la CPI contre des responsables étatiques en exercice ou anciens comme Netanyahu et Gallant, ainsi que l'affirmation de sa compétence malgré le fait qu'Israël ne soit pas partie au Statut de Rome, testent des domaines complexes et contestés du droit international concernant l'immunité des chefs d'État et la compétence universelle. Les mandats de la CPI visent un Premier ministre en exercice (Netanyahu) et un ancien ministre de la Défense (Gallant).5 La CPI affirme sa compétence en se fondant sur le fait que la Palestine est un État partie, même si Israël ne l'est pas.4 La position de la CPI est que le droit international coutumier ne prévoit pas d'immunité pour les chefs d'État devant les tribunaux pénaux internationaux.5 Les États-Unis s'opposent fermement à cette affirmation de compétence sur les ressortissants d'États non parties sans leur consentement.3 Les actions de la CPI repoussent les limites du droit pénal international en évolution concernant la compétence et l'immunité. Cette remise en cause directe des notions traditionnelles de souveraineté, affectant particulièrement un allié clé des États-Unis, est une raison essentielle de la réponse agressive des États-Unis, qui cherche à réaffirmer la primauté de la souveraineté nationale sur les mécanismes judiciaires internationaux.
La Mise en Congé de Karim Khan : Une Complication Supplémentaire
Pour ajouter à la complexité de la situation, le Procureur de la CPI, Karim Khan, a pris un congé en mai 2025, dans l'attente des conclusions d'une enquête menée par l'ONU sur des allégations de harcèlement sexuel, qu'il nie.13 Karim Khan a déclaré que sa décision était motivée par l'intense surveillance médiatique et pour garantir l'intégrité de l'enquête.13 Bien que le moment soit proche des sanctions et de la suppression de son compte de messagerie, les sources disponibles n'établissent pas de lien de causalité direct entre son congé et les sanctions américaines.13 Néanmoins, cela ajoute une couche supplémentaire de complexité et de pression sur le Bureau du Procureur et sur la CPI en tant qu'institution durant une période critique.
Bien qu'elle ne soit pas directement liée aux sanctions par les preuves disponibles, la mise en congé de Karim Khan en raison d'allégations de mauvaise conduite crée une « tempête parfaite » de crises pour la CPI. La Cour est confrontée à une pression opérationnelle et politique sans précédent de la part des sanctions américaines 1, et simultanément, son Procureur en chef prend congé sur fond d'allégations personnelles.13 Ces deux événements, bien que potentiellement sans lien d'origine, convergent pour créer l'image d'une institution en pleine tourmente. Cette confluence de pressions internes et externes pourrait être exploitée par les détracteurs de la Cour pour remettre davantage en question sa crédibilité, son efficacité et son leadership, rendant plus difficile pour la Cour de résister aux sanctions et de poursuivre son mandat. Le moment choisi, indépendamment du bien-fondé des allégations, est extrêmement regrettable pour la CPI.
Naviguer dans la Tempête : Réponses Potentielles et Recommandations Stratégiques
Face à cette situation complexe et aux pressions multiformes, plusieurs pistes de réponses et recommandations stratégiques peuvent être envisagées pour les différentes parties prenantes.
Pour la Cour Pénale Internationale
- Résilience Opérationnelle : La CPI doit impérativement diversifier son infrastructure numérique en explorant des solutions de communication et de stockage de données sécurisées non basées aux États-Unis (par exemple, des fournisseurs européens ou suisses comme ProtonMail, déjà adopté par Karim Khan 1), et investir dans des capacités internes lorsque cela est possible afin de réduire les dépendances externes.8
- Autonomie Financière : Il est crucial d'explorer des canaux financiers alternatifs et des mécanismes avec les États Parties pour atténuer l'impact des sanctions financières américaines sur ses opérations et son personnel.
- Contestations Juridiques : La Cour devrait continuer à soutenir les contestations juridiques contre les sanctions américaines dans les juridictions pertinentes (par exemple, l'affaire Iverson c. Trump 1), en plaidant contre leur application extraterritoriale et leur impact sur la justice internationale.
- Offensive Diplomatique : Un engagement robuste avec les États Parties au Statut de Rome et d'autres nations de soutien est nécessaire pour condamner les sanctions, rechercher des contre-mesures collectives et réaffirmer le soutien à l'indépendance de la CPI.
- Plaidoyer Public : La CPI doit communiquer clairement l'impact des sanctions sur sa capacité à rendre justice aux victimes à l'échelle mondiale, en contrant les récits qui cherchent à la délégitimer.
La CPI ne peut se contenter de subir passivement cette tempête ; elle nécessite une stratégie proactive et multidimensionnelle englobant l'adaptation technologique, l'action juridique, la mobilisation diplomatique et la défense publique de son mandat pour survivre et maintenir son efficacité. Les sanctions américaines sont conçues pour paralyser la CPI.1 Des mesures réactives comme le changement de fournisseur de messagerie sont nécessaires mais insuffisantes.1 La Cour doit s'attaquer aux vulnérabilités à leur racine (dépendance numérique, exposition financière 8) et se défendre activement par des voies juridiques et diplomatiques, tout en défendant sa légitimité dans la sphère publique.9 Une posture purement défensive mènera probablement à une nouvelle érosion de ses capacités. La CPI doit chercher activement à remodeler son environnement opérationnel et à obtenir un soutien international plus fort pour contrer des pressions unilatérales aussi puissantes.
Pour la Communauté Internationale et les États Parties au Statut de Rome
- Condamnation Collective et Contre-mesures : Il est impératif d'émettre des condamnations fortes et unifiées des sanctions américaines. L'exploration de contre-mesures collectives, telles que des statuts de blocage (similaires à la réponse de l'UE aux sanctions américaines passées contre l'Iran 18) ou un fonds dédié pour soutenir la CPI et les personnes affectées par les sanctions, devrait être envisagée. Des rapporteurs de l'ONU ont exhorté l'UE à utiliser ses pouvoirs juridiques pour protéger la CPI.13
- Renforcement du Soutien Financier : Assurer un financement prévisible et accru pour la CPI afin de l'aider à résister aux pressions financières et à investir dans une infrastructure sécurisée.
- Promotion de la Souveraineté Numérique pour les Institutions Internationales : Soutenir les initiatives visant à développer et à fournir une infrastructure numérique sécurisée et indépendante pour les organisations internationales, potentiellement hébergée dans des juridictions neutres ou par des consortiums d'États de soutien.15
- Respect des Obligations : Les États Parties doivent réaffirmer publiquement leur engagement à coopérer avec la CPI, y compris en exécutant les mandats d'arrêt, afin de démontrer la pertinence et le soutien continus de la Cour.5
Les sanctions américaines contre la CPI constituent un test critique pour les États Parties au Statut de Rome et la communauté internationale au sens large : permettront-ils passivement à une superpuissance unilatérale de saper une institution multilatérale clé, ou prendront-ils des mesures collectives pour la défendre ainsi que les principes qu'elle représente? La CPI est une création d'un traité multilatéral (le Statut de Rome). Les États-Unis, non-partie, tentent unilatéralement de la paralyser.3 L'efficacité et la survie de la CPI dépendent de manière significative du soutien actif et de la protection de ses États Parties (il est mentionné que la cour compte sur les États membres pour l'application 2). Une réponse faible ou divisée des États Parties encouragera les actions unilatérales contre d'autres institutions internationales. Cette situation oblige les États Parties à décider si leur engagement envers la CPI et l'état de droit international est suffisamment fort pour justifier une action collective tangible face à l'opposition d'une grande puissance. Leur réponse aura des implications bien au-delà de la CPI elle-même.
Pour les Entreprises Technologiques
- Transparence : Les entreprises technologiques devraient faire preuve de transparence concernant leurs obligations légales de se conformer aux sanctions et la manière dont celles-ci affectent les services aux organisations internationales. Lorsque cela est possible, elles devraient fournir un préavis et engager un dialogue avant la cessation des services (Microsoft n'a pas fait de commentaire public 1).
- Plaidoyer pour des Exemptions : Collectivement ou individuellement, elles devraient plaider auprès des gouvernements en faveur d'exemptions humanitaires et opérationnelles claires dans les régimes de sanctions pour les organisations internationales fournissant des services mondiaux essentiels, comme les tribunaux internationaux (l'EO 14203 ne prévoit qu'une exemption très limitée pour les dons humanitaires, et non pour les services opérationnels 3).
- Développement de Principes de Service Mondiaux : Envisager de développer des principes à l'échelle de l'industrie pour la fourniture de services aux organisations internationales, en équilibrant la conformité légale avec les engagements en matière de droits de l'homme et d'état de droit.
- Offre de Solutions de Cloud Souverain : Accélérer le développement et l'offre de solutions de « cloud souverain » susceptibles d'offrir une meilleure protection des données et une plus grande résilience face aux demandes légales extraterritoriales pour certains clients (bien que certaines sources notent que celles-ci pourraient ne pas être infaillibles 8).
Les grandes entreprises technologiques sont confrontées à un dilemme croissant : elles sont constituées dans des nations spécifiques et soumises à leurs lois, mais leurs services et leurs bases d'utilisateurs sont mondiaux, ce qui crée des conflits inhérents lorsque les politiques nationales se heurtent aux normes mondiales ou aux besoins opérationnels des clients internationaux. Microsoft est une société américaine 12 qui fournit des services à l'échelle mondiale, y compris à la CPI. Le droit américain (EO 14203) la contraint à agir contre un client mondial.1 Cela crée un conflit entre ses obligations légales nationales et son rôle de fournisseur d'infrastructures numériques mondiales essentielles. Les entreprises technologiques doivent naviguer dans cet espace complexe non seulement en garantissant la conformité légale, mais aussi en s'engageant dans un plaidoyer politique en faveur de cadres qui leur permettent de servir des clients mondiaux comme les organisations internationales sans être contraintes de les saper. Se contenter de déclarer « nous devons nous conformer » pourrait ne pas être suffisant à long terme pour leur légitimité et leurs activités mondiales.
Conclusion : L'État Précaire de la Justice Internationale dans un Monde Politicisé
En résumé, la suppression du compte de messagerie de Karim Khan par Microsoft découle directement des sanctions américaines, incarnées par l'Executive Order 14203. Ces sanctions constituent elles-mêmes une réponse directe aux actions de la Cour pénale internationale concernant des responsables israéliens. Les conséquences pour la CPI sont sévères : dommages opérationnels, financiers et réputationnels importants, ainsi qu'un effet dissuasif sur son réseau de soutien.
Au-delà du cas spécifique de la CPI, cet incident met en lumière des dynamiques plus larges et préoccupantes. Il illustre l'affirmation de la compétence extraterritoriale des États-Unis, les vulnérabilités critiques induites par la dépendance numérique vis-à-vis des fournisseurs technologiques américains, et une remise en cause fondamentale de l'indépendance de la justice internationale. La situation est grave : des outils essentiels à la gouvernance internationale peuvent être perturbés par des actions nationales unilatérales, plaçant la poursuite de la responsabilité mondiale dans une position précaire.
L'affaire CPI-Microsoft signale que les institutions internationales et les normes juridiques qu'elles défendent deviennent de nouveaux champs de bataille dans les rivalités géopolitiques. Les dépendances technologiques et les sanctions économiques y sont maniées comme des armes puissantes pour projeter la puissance et imposer les intérêts nationaux, redessinant potentiellement le paysage de la gouvernance mondiale. Le conflit ne se déroule pas sur un terrain militaire traditionnel, mais implique des cadres juridiques, des sanctions économiques et un contrôle technologique [EO 14203, action de Microsoft]. La cible est un organe judiciaire international, et l'objectif est d'influencer ses procédures judiciaires et sa capacité opérationnelle.2 Les outils utilisés (sanctions contre des individus, interdiction de soutien technologique) sont caractéristiques de la realpolitik économique moderne.18 Cet épisode illustre comment la lutte pour les normes internationales et l'autorité des institutions internationales se déroule de plus en plus par des moyens non militaires qui exploitent l'interconnexion et les dépendances du monde moderne, en particulier dans le domaine numérique. L'avenir de la justice internationale, et par extension celui d'un ordre mondial fondé sur le droit, sera considérablement façonné par la manière dont ces nouvelles formes de pression seront gérées et combattues. La capacité de la communauté internationale à protéger ses institutions face à de telles manœuvres déterminera la robustesse et la crédibilité de la justice pénale internationale pour les années à venir.
Sources des citations
- Trump's sanctions on ICC prosecutor have halted tribunal's work - AP News, consulté le mai 20, 2025, https://apnews.com/article/icc-trump-sanctions-karim-khan-court-a4b4c02751ab84c09718b1b95cbd5db3
- Trump's sanctions on ICC's chief prosecutor have halted tribunal's work, officials and lawyers say | PBS News, consulté le mai 20, 2025, https://www.pbs.org/newshour/world/trumps-sanctions-on-iccs-chief-prosecutor-have-halted-tribunals-work-officials-and-lawyers-say
- Executive Order 14203 “Imposing Sanctions on the International ..., consulté le mai 20, 2025, https://www.winston.com/en/blogs-and-podcasts/global-trade-and-foreign-policy-insights/executive-order-14203-imposing-sanctions-on-the-international-criminal-court-and-key-takeaways
- Imposing Sanctions on the International Criminal Court – The White ..., consulté le mai 20, 2025, https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/02/imposing-sanctions-on-the-international-criminal-court/
- Mapping State Reactions to the ICC's Netanyahu, Gallant Warrants, consulté le mai 20, 2025, https://www.justsecurity.org/105064/arrest-warrants-state-reactions-icc/
- International Criminal Court arrest warrants for Israeli leaders ..., consulté le mai 20, 2025, https://en.wikipedia.org/wiki/International_Criminal_Court_arrest_warrants_for_Israeli_leaders
- Trump Administration's Sanctions on the ICC Implicates NGOs ..., consulté le mai 20, 2025, https://charityandsecurity.org/news/trump-administrations-sanctions-on-the-icc-implicates-ngos-february-2025/
- Microsoft's ICC blockade: digital dependence comes at a cost - Techzine Global, consulté le mai 20, 2025, https://www.techzine.eu/news/privacy-compliance/131536/microsofts-icc-blockade-digital-dependence-comes-at-a-cost/
- Legal Challenges Mount Against Renewed U.S. Sanctions on the ..., consulté le mai 20, 2025, https://www.lawfaremedia.org/article/legal-challenges-mount-against-renewed-u.s.-sanctions-on-the-icc
- What do the Trump administration's sanctions on the ICC mean for justice and human rights? - Amnesty International, consulté le mai 20, 2025, https://www.amnesty.org/en/latest/campaigns/2025/03/what-do-the-trump-administrations-sanctions-on-the-icc-mean-for-justice-and-human-rights/
- Trump's Full-Scale Assault on the International Criminal Court - Modern Diplomacy, consulté le mai 20, 2025, https://moderndiplomacy.eu/2025/05/19/trumps-full-scale-assault-on-the-international-criminal-court/
- Compliance Violation Series #12: Microsoft's Violations Settlement, consulté le mai 20, 2025, https://www.planetcompliance.com/case-studies/microsoft-sanctions-violations/
- ICC prosecutor Karim Khan on leave amid misconduct probe and Trump sanctions, consulté le mai 20, 2025, https://www.middleeasteye.net/news/icc-prosecutor-karim-khan-leave-amid-misconduct-probe-and-trump-sanctions
- Extraterritoriality of American and Chinese laws: challenges and implications for French companies - Gide, consulté le mai 20, 2025, https://www.gide.com/en/news-insights/extraterritoriality-of-american-and-chinese-laws-challenges-and-implications-for-french-companies/
- How Trump's second term just made digital sovereignty a European priority - XWiki, consulté le mai 20, 2025, https://xwiki.com/en/Blog/European-digital-sovereignty/
- Microsoft's ICC blockade: digital dependence comes at a cost | Hacker News, consulté le mai 20, 2025, https://news.ycombinator.com/item?id=44032717
- What is digital sovereignty and how are countries approaching it? | World Economic Forum, consulté le mai 20, 2025, https://www.weforum.org/stories/2025/01/europe-digital-sovereignty/
- US-EU sanctions divergence would spell trouble for multinational companies, consulté le mai 20, 2025, https://www.atlanticcouncil.org/blogs/econographics/us-eu-sanctions-divergence-would-spell-trouble-for-multinational-companies/
- ICC prosecutor to step aside until probe into alleged misconduct ..., consulté le mai 20, 2025, https://www.aljazeera.com/news/2025/5/16/icc-prosecutor-to-step-aside-until-probe-into-alleged-misconduct-ends